L'éthique au risque de son institutionnalisation ?
Revue internationale de soins palliatifs. 1/2014 (Vol.29), pp.21-22.
Site de la Revue internationale de soins palliatifs
Conférencier :
Roland Chvetzoff, PhD (1)(2)(1) Cabinet LATITUDE SANTE, 38460 Trept.
(2) Faculté de philosophie université Lyon 3, Institut de Recherches Philosophiques de Lyon (IRPhil), 69007 Lyon.
Résumé :
L'éthique au risque de son institutionnalisation ?
Le secteur de la santé s’appuie sur trois perspectives fondamentales à l’origine de tensions,
conflits, paradoxes qui peuvent affecter le travail des professionnels au quotidien : (a) La
vulnérabilité des patients, personnes âgées ou handicapées appelant une responsabilité
professionnelle individuelle et collective ; (b) Les dimensions individuelles de
l’accompagnement quotidien au sein d’un collectif inhérent à cet accompagnement ; (c) Les
transformations sociétales au sein d’une démocratie libérale, régime qui accepte ses
contradictions en institutionnalisant les conflits sans décider d’une fin unique parmi les buts
et idéaux qu’elle vise : liberté, sécurité, égalité, solidarité, autonomie, etc.
Aussi devrions-nous nous réjouir de la demande de la HAS de mettre en place et de
développer une réflexion éthique au sein des établissements sanitaires et médico-sociaux ou, dit
autrement, d’institutionnaliser la réflexion éthique.
Alors pourquoi questionner cette institutionnalisation de l’éthique sous l’angle d’un risque,
d’un danger ? Parce que l’institutionnalisation de l’éthique comporte bien un risque, celui
d’avoir à se positionner sur l’une des deux postures suivante :
1. Une posture dont l’objectif serait la sollicitude soignante déclinée en pratiques de soins
pour un public vulnérabilisé. Cette visée privilégierait le colloque-singulier, l’approche
charitable et humaniste, mais ne tiendrait pas compte de l’approche institutionnelle de l’homme
confronté au mal subit qu’est la maladie.
2. Un focus « institutio-organisationnel » générateur de procédures et protocoles, de gestion de
flux de malades, de systèmes de gestion des risques et autres processus techno-normatifs qui
viendraient masquer l’épreuve du mal, le mal constitutif de la nature humaine, jusqu’à en dénier
même l’existence. Il n’y aurait plus de mal, tout au plus des maux – un traitement de la maladie
et de ses symptômes qui viendrait se substituer au malade, des fautes médicales et des plaintes,
des risques de maltraitance, infectieux ou suicidaire, etc. – qu’il conviendrait alors de gérer
et traiter, socialement ou individuellement. Un déni du mal prenant alors la forme de défauts de
fonctionnements auxquels une meilleure technique de gestion sociale, organisationnelle et
managériale, assistée d’évaluation porteraient remède.
Ces deux postures, les institutions de santé les vivent au quotidien sous forme d’une tension
entre un prendre soin privilégiant le colloque singulier et la non moins nécessaire distance
techno-administrative de l’institution de santé. Mais choisir entre l’une ou l’autre posture
reviendrait-il à considérer l’autre choix comme une imposture ?
Comment penser une dialectique plutôt qu'une opposition entre le « faire le soin » (to cure) et
le « prendre soin » (to care) ? Comment trouver un compromis entre un processus institutionnel
et une trajectoire personnelle ? Comment maintenir le souci du sujet dans, ou mieux, par le
biais du cadre institutionnel ?
L'enjeu de cette tension est bien la reconnaissance du sujet (patient, familles, soignants) dans
ce moment ambigu et pourtant fondamentalement humain que constitue l'expérience de la
vulnérabilité, mais également le maintien d’un cap face au risque majeur du soin qui serait
celui d’une possibilité d’une violence infligée par un humain, une organisation ou une
institution à un autre agent devenu son patient et potentiellement sa victime. De fait, la
question éthique ne se pose que par le fait que le mal existe.
L’éthique, définie par Ricœur comme la visée de la vie bonne, avec et pour les autres et dans
des institutions justes, vient ici se heurter à une définition insolente du système de santé
contemporain : celle d’une santé parfaite liée à des établissements de santé efficients.
Cette visée éthique installe une tension dans la relation de soin entre la santé entendue comme
épreuve de soi et la santé normalisée par les institutions de santé. Ainsi Ricœur propose une
troisième voie qui, sans pour autant opposer les deux premières, viendrait supprimer le dualisme
d’une relation « courte » du colloque singulier et celle d’une relation « anonyme » des «
machines à guérir » hospitalières, par une relation de soin « longue » déclinée à travers la
médiation de l’institution.
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